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Sciences de la vie : la réindustrialisation du secteur est une priorité

Les life sciences englobent de nombreuses spécialités : biotechnologies, chimie, pharmaceutique, dispositifs médicaux, etc. Si le secteur belge se porte bien grâce à un écosystème véritablement dynamique, maintenir sa place de leader européen demeure néanmoins un défi permanent. Réindustrialiser est une priorité, ce qui nécessite entre autres une main-d’œuvre qualifiée, des infrastructures et du financement. Le point de vue d quatre acteurs majeurs du secteur.

Quel regard portez-vous sur l’évolution récente du secteur des sciences du vivant ?

Frédéric Druck
Directeur d’essenscia wallonie-bruxelles

Frédéric Druck : « Depuis la pandémie de Covid-19, la situation économique et géopolitique a fortement évolué en Europe. Face au manque d’autonomie en matière de moyens de santé, notamment en termes de production et de disponibilité de certains traitements, nous avons renforcé un message de longue date : la nécessité de développer une stratégie de réindustrialisation en Europe. Cela a abouti notamment à l’Antwerp Declaration, une déclaration commune ambitieuse en ce sens de tous les secteurs manufacturiers, et à deux projets européens majeurs : un ‘Industrial Deal’, en complément du Green Deal, et un projet de Biotech Act. L’objectif est de renforcer notre compétitivité et d’attirer les investissements en Europe, entre autres dans le domaine des biotechnologies. »

Valérie Roels : « Il est vrai que la situation évolue, notamment en Belgique. Un aspect crucial est la collaboration entre les universités, les centres de recherche et les entreprises. Il y a une réelle volonté de travailler ensemble pour un même objectif. Les projets innovants sont aussi souvent soutenus par des organisations comme essenscia et BioWin en Wallonie. Les autorités publiques jouent bien évidemment aussi un rôle déterminant pour soutenir la recherche et l’innovation dans le secteur des life sciences. »

Selon Pharma.be, le secteur représente, à lui seul, 15 % des exportations belges, génère 45.000 emplois directs et dépose quelque 446 brevets par an.

F. Druck : « Les collaborations avancent en effet, particulièrement en Wallonie. La Belgique comme ‘Health and Biotech Valley’ a pu profiter d’un bel élan dans le cadre de la plateforme mise en œuvre par le gouvernement fédéral, avec l’industrie représentée, d’une part, par les quatre grands acteurs – GSK, UCB, Pfizer, Johnson & Johnson – et, d’autre part, par des fédérations telles que pharma.be et bio. be/essenscia.  Ces grands groupes, comme d’autres acteurs importants du secteur, continuent d’innover et de produire en Belgique. On assiste aussi à de grandes innovations dans les domaines des ATMP (Advanced Therapy Medicinal Products), comme les thérapies cellulaires et géniques, et des vaccins. »

Dominique Demonté
Directeur du BioPark Charleroi

Dominique Demonté : « À ce propos, l’une des grandes forces de la Belgique est l’excellence de ses études cliniques. Elles représentent 20 % des études européennes sur le cancer. De plus, 22 % de nos études sont en phase 1, ce qui signifie que nous sommes reconnus pour le développement d’essais cliniques pour les nouvelles thérapies. Outre les ATMP pour lesquels des sociétés ont développé une forte expertise, d’autres entreprises comme Catalent et Thermo Fisher sont des CDMO (Contract Development Manufacturing Organisations), c’est-à-dire qu’elles fabriquent des médicaments à l’échelle industrielle. Tout cela et d’autres éléments encore témoignent de la bonne structuration, de la dynamique et de la croissance de notre écosystème wallon. »

Éric Halioua : « Étant français d’origine, après quelques années à Boston, je me suis installé en Belgique il y a une quinzaine d’années. Ce que j’y ai vu dans le secteur en termes de croissance au cours de cette période est exceptionnel. Le nombre de startups a explosé et les grands groupes pharmaceutiques ont aussi étendu leurs activités, avec à la clé une multiplication par deux du nombre d’emplois en 15 ans dans l’ensemble des sciences de la vie. Il est indispensable de continuer à consolider notre écosystème. C’est pour cette raison que davantage de profils qualifiés au niveau du management, en provenance de grands groupes pharmaceutiques locaux ou d’ailleurs, viennent soutenir les efforts de petites comme de grandes entreprises. »

V. Roels : « Nous avons raison de relever le rôle d’entreprises pionnières comme GSK ou Pfizer dans les biotechnologies ou la pharmaceutique. Depuis des décennies, elles sont à l’origine de succès dans le développement de nouveaux traitements et vaccins. À côté de ça, continuons aussi à souligner le dynamisme des petites entreprises innovantes, qui contribuent elles aussi aux progrès en Wallonie. Citons notamment Bioxodes, qui nous donne un espoir pour le traitement des AVC hémorragiques  ; son produit candidat a franchi avec succès la première étape d’un essai clinique. Un autre exemple est l’entreprise Qualiblood. Celle-ci a développé des biomarqueurs innovants pour évaluer les risques de thrombose associés à la pilule contraceptive. »

Nous produisons déjà des produits complexes, comme l’ARN Messager, en grandes quantités.À l’avenir, il en sera de mêmes pour plus de vaccins de nouvelle génération.

D. Demonté : « Un élément frappant au niveau wallon est aussi l’apparition de sociétés de taille intermédiaire, telles que iTeos avec 180  employés, l’Institut de pathologie et de génétique avec 350  employés, ou encore l’Institut des radioéléments avec 250  employés. Ces entreprises ne sont plus de petites PME, mais des acteurs importants du secteur. » 

É. Halioua : « Relevons tout de même que certaines entreprises en phase de développement clinique peuvent rencontrer des difficultés. Cependant, cela fait partie d’une certaine ‘norme’ dans le secteur des biotechnologies. Quand on sait qu’une ou deux molécules sur dix qui entrent en clinique réussissent à atteindre le marché, on comprend mieux les risques du secteur et les cycles de développement auquel il est soumis. Cependant, il ne faut pas craindre ces cycles économiques et conjoncturels, car l’écosystème et le tissu industriel sont suffisamment solides pour continuer à se développer de manière significative. L’écosystème a atteint la maturité suffisante pour cela. »

D. Demonté : « Comme vous le soulignez, il y a des effets conjoncturels et certaines sociétés sont parfois contraintes de cesser leur activité. Mais, globalement, les indicateurs restent très bons dans le secteur des sciences de la vie. Selon Pharma. be, il représente, à lui seul, 15  % des exportations belges, génère 45.000  emplois directs et dépose quelque 446  brevets par an. Ces chiffres confirment le dynamisme et la solidité de l’écosystème belge dans le secteur des sciences de la vie.. »

Quels autres éléments expliquent encore le dynamisme de l’écosystème belge ?

Valérie Roels
General Manager de Cap4HR

V. Roels : « Hormis les entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques dont on parle souvent dans le cadre des sciences du vivant, les sociétés spécialisées dans le développement des dispositifs médicaux jouent également un rôle important dans l’amélioration de la santé. Voici deux exemples d’entreprises émergentes dans ce domaine. Le premier est Lys Medical qui, avec moins de 10 collaborateurs, a réussi à concevoir la plus petite sonde endoscopique au monde ; elle permet un diagnostic visuel des lésions pulmonaires périphériques et une accélération du parcours des patients en évitant la répétition de procédures invasives. Le second exemple est également une petite structure. Il s’agit de neuroClues, qui a développé un dispositif offrant aux neurologues une méthode rapide et non invasive de détecter des anomalies dans le fonctionnement cérébral ; elle a mis au point une solution portable de mesure des mouvements des yeux. »

É. Halioua : « Parmi les facteurs qui contribuent à la solidité de notre écosystème, on trouve également les CDMO, auxquels Monsieur Demonté faisait référence. Ils ont connu un développement significatif, faisant de la Wallonie un acteur incontournable dans le domaine de la thérapie cellulaire et génique et de la production à façon. De grands acteurs tels que Catalent et Thermo Fisher ont réalisé des acquisitions des entreprises existantes, investissant massivement dans ce domaine. Un autre facteur de succès est la réalisation de ‘sorties’ (EXIT)  : des entreprises de biotechnologie financées par des capitaux à risque ou par la Région wallonne sont rachetées par des groupes pharmaceutiques ou réalisent des accords de licence importants. Ces rachats ne doivent pas être perçus comme une perte d’ancrage, mais plutôt comme une opportunité de renforcer les pôles de compétences locaux. Plusieurs EXIT majeures ont été réalisées au cours des dix dernières années.»

D. Demonté : « Vous avez tout à fait raison. Nous attirons aujourd’hui des entreprises biotech parce que nous avons réussi à structurer, à l’échelle du territoire, un accès à tout ce dont elles ont besoin  : financements, réseaux académiques et industriels, accès aux talents, infrastructures adéquates, etc. Si l’un de ces éléments venait à manquer ou à être en tension, cela deviendrait un nœud d’étranglement pour le maintien de notre pouvoir d’attractivité et la croissance de notre écosystème. Lorsqu’une entreprise cherche par exemple à s’installer chez nous, elle se pose des questions sur l’accessibilité aux infrastructures. Au BioPark de Charleroi, nous nous sommes inspirés du modèle du Labhotel de Liège, qui permet aux sociétés de louer des plateformes technologiques partagées pour effectuer efficacement de la recherche et développement à un coût limité. En termes de mutualisation, il en est de même au niveau des ressources, qui se fait à l’échelle wallonne en collaboration avec divers acteurs et organisations. »

F. Druck : « La structuration du secteur à laquelle vous faites référence se déploie tout au long de la chaîne de valeur. En d’autres termes, nous disposons de capacités en innovation et en production, d’une excellence académique et clinique, de grands acteurs traditionnels, de nombreux petits acteurs innovants et agiles qui permettent de produire rapidement des résultats, et d’investissements dans des projets structurants qui nous placent en position de force dans une compétition à la fois européenne et mondiale. C’est notamment le cas dans le domaine des vaccins, où il existe une solide plateforme avec des leaders comme GSK et Pfizer, ainsi que des initiatives académiques notables telles que la Virus Bank Platform de la KU Leuven, le Vaccinopolis de l’Université d’Anvers pour les essais cliniques primaires ou encore le European Plotkin Institute for Vaccinology de l’ULB. Nous sommes déjà capables de produire des produits complexes en grandes quantités, tels que l’ARN messager. À l’avenir, plus de vaccins prophylactiques de nouvelle génération et de vaccins thérapeutiques seront développées et produits chez nous, comme ceux de PDC line Pharma. »

É. Halioua : « PDC line Pharma est effectivement active dans le domaine des vaccins thérapeutiques contre le cancer. Actuellement, nous sommes en phase de développement clinique sur des patients atteints de cancer du poumon métastatique, en utilisant notre plateforme technologique PDC*line ; elle est destinée à stimuler le système immunitaire des patients atteints de cancers. Notre approche repose sur l’utilisation d’une lignée cellulaire tumorale dérivée d’un patient ayant une leucémie très rare du système immunitaire. Nous irradions la cellule, puis la chargeons avec des antigènes spécifiques des cancers du poumon, pour ensuite l’injecter aux patients. »

À quels défis majeurs le secteur est-il confronté aujourd’hui et quelles réponses y apporter?

V. Roels : « Nous pouvons relever six défis majeurs. Un : la question de la main-d’œuvre. Elle ne constitue plus une problématique. Nous collaborons avec les universités, les hautes écoles, les centres de formation et les entreprises pour mieux aligner les compétences des diplômés avec les besoins du marché. Deux  : comme cela a été déjà souligné, des infrastructures adéquates. Pour celles-ci, des projets sont en voie de développement, comme le Biotech 5, fruit d’Igretec, le partenaire immobilier historique du BioPark Charleroi, qui hébergera l’EU Biotech Campus, ou les extensions d’Aptaskill basées à Seneffe et à Liège. Trois : renforcer la collaboration entre les parties prenantes. En l’occurrence, le désir de dépasser les frontières locales est croissant, notamment en termes de partage des ressources humaines. À cet égard, nous avons organisé cette année, pour la première fois, un Jobs Day sectoriel dans l’emblématique stade du Sporting de Charleroi, en collaboration entre autres avec essenscia wallonie-bruxelles, Le Forem et Actiris ; plus de 600 chercheurs d’emploi étaient présents. Quatre : le besoin de financement, notamment pour soutenir les PME dans les domaines biotech et medtech. Cinq : l’intégration de manière adéquate des nouvelles technologies dans notre écosystème, en ce compris l’intelligence artificielle. Six : la visibilité de la Belgique hors de nos frontières notamment, comme cela se fait déjà, via des conférences internationales. »

Nous collaborons avec les universités, les hautes écoles, les centres de formation et les entreprises pour mieux aligner les compétences des diplômés avec les besoins du marché.

F. Druck : « En matière de formation, il y a cependant lieu de consolider les passerelles entre l’enseignement et l’industrie. Si les hautes écoles ont déjà mis en place des initiatives prometteuses, comme les bacheliers en alternance qui permettent aux étudiants de combiner études et expériences professionnelles, il faudrait encore un meilleur alignement des cours de l’enseignement supérieur avec les réalités industrielles. Il s’agit entre autres de combler le manque de main-d’œuvre dans les métiers en phase critique. »

Éric Halioua
CEO de PDC line Pharma

É. Halioua : « La formation des talents est en effet essentielle dans un secteur en pleine expansion. En Belgique, elle est de bonne qualité : les diplômés trouvent souvent un emploi dès la fin de leurs études. Mais, comme vous le dites, les programmes doivent encore être amplifiés et affinés pour répondre aux besoins de l’industrie. »

F. Druck : « Un autre défi est le soutien à l’innovation, notamment pour des entreprises étrangères qui viennent faire de la Belgique leur plateforme de recherche et développement. Tel est le cas de PDC line Pharma, qui a démarré ici des recherches et y restée pour la production. »

É. Halioua : « Jusqu’ici, les incitants du Plan Marshall de la Région wallonne ont fortement contribué au succès de notre écosystème. Pour notre part, chez PDC line Pharma, nous avons pu lever environ 62  millions d’euros, dont une part importante provenant de la Région wallonne et des invests wallons et belges – SFPI, Wallonnie Entreprendre, Noshaq, Sambrinvest, etc. Ceci a été déterminant pour la croissance rapide de notre société. Ces financements doivent être absolument préservés. »

D. Demonté : « La continuité des financements joue effectivement un rôle clé dans le développement du secteur des life sciences. Par le passé, des investissements de l’ordre de 500.000 euros étaient suffisants. Aujourd’hui, vu la taille plus importante des entreprises et les projets sur la table, il faut de 2 à 4 millions d’euros, voire plus. Sans un soutien financier adéquat, nous ne parviendrons pas à transformer nos entreprises locales en leaders mondiaux. Il est également nécessaire d’investir en amont dans la recherche au niveau des universités. »

F. Druck : « Pour rester compétitifs, il est également essentiel de maîtriser la trajectoire des coûts salariaux et de l’énergie tout en simplifiant le paysage administratif. Le cadre réglementaire européen est en constante évolution ; il ne sert à rien de faire de la surrèglementation au niveau régional, entre autres concernant l’accès aux permis d’exploitation. »

Les entrepreneurs comme les investisseurs doivent pouvoir compter sur des systèmes réglementaires et juridiques stables et attractifs.

É. Halioua : « Je vous rejoins sur ce point. Les entrepreneurs comme les investisseurs doivent pouvoir compter sur des systèmes réglementaires et juridiques stables et attractifs. Etant donné que notre secteur travaille sur des cycles longs, changer fréquemment les règles peut entraîner des coûts importants et compliquer la planification à long terme. »

D. Demonté : « Même si, comparé aux autres régions, nous sommes déjà bons en la matière en Wallonie, nous pourrions encore mieux aligner les acteurs et les actions. En clair, il nous manque un endroit pour discuter de la stratégie de développement de l’industrie wallonne des sciences du vivant dans tous ses aspects. BioWin prend en charge les aspects liés à la recherche et développement… Les hubs de Charleroi et Liège pilotent leur stratégie immobilière… Mais nous manquons encore de gouvernance, de synchronisation et de plans d’actions intégrés, notamment pour renforcer notre attractivité à l’international. Cela ne nous demanderait pas de moyens additionnels ; au contraire, nous économiserions, tout en en faisant plus. Face à des concurrents comme les États-Unis et la Chine, la Belgique doit maintenir sa compétitivité dans le secteur des life sciences. »

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