En Wallonie, le renouvellement des générations est loin d’être un parcours sans embûches. Guillaume Van Binst, Secrétaire général de la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA), et Sebastien Geens, l’un des membres de la FJA, évoquent leurs difficultés.
Quel regard portez-vous sur le secteur ?
Guillaume Van Binst : « Il n’est pas très optimiste : les revenus et la rentabilité ne sont toujours pas au rendez-vous. Les causes sont multiples, donc les leviers pour remédier à cette situation le sont aussi. Pour nous, il est nécessaire de changer le paradigme de la Politique agricole commune (PAC), la seule politique réellement intégrée au niveau européen. Les choix opérés dans les années 90 ont placé les agriculteurs dans un marché mondialisé, en faisant la part belle à la compétitivité et engendrant une grande volatilité des prix. Ils ont montré leurs limites. Les agriculteurs sont soumis à beaucoup de normes sanitaires, environnementales et autres, ce qui est très bien en soi. En revanche, ces conditions ne permettent pas d’être concurrentiels face à certains producteurs étrangers qui en ont moins. »
Pour nous, il est nécessaire de changer le paradigme de la Politique agricole commune.
Quels autres problèmes identifiez-vous ?
G. V. B. : « Il faut aussi maîtriser la spéculation : beaucoup d’acteurs financiers spéculent par exemple sur le prix des céréales, ce qui est très préjudiciable. Nous devons également agir sur l’accès à la terre. Il n’est pas toujours nécessaire de posséder les terres qu’on cultive, mais aujourd’hui, en location, on se retrouve confrontés à des propriétaires qui ne veulent plus toujours conclure de baux avec des agriculteurs. En outre, les aides de la PAC sont octroyées par hectare, non plus par production. Cela crée un effet d’aubaine : les propriétaires trouvent le moyen de faire cultiver leurs terres pour capter les aides et se détourner du bail à ferme. »
Beaucoup d’acteurs financiers spéculent sur le prix des céréales, ce qui est très préjudiciable au secteur agricole.
Sebastien Geens : « En fait, on ne demande rien de plus que tout autre entrepreneur : avoir de la visibilité sur notre outil de travail et nos prix de vente. Ajoutons aussi que les investissements pour reprendre une exploitation aujourd’hui sont colossaux, dans un marché très ouvert et instable. »
Que peuvent apporter les jeunes en agriculture ?
S. G. : « En tant que jeunes, nous avons accès à beaucoup plus de formations que nos aînés. Nous sommes aussi plus ouverts sur la population urbaine, plus créatifs et diversifiés en termes de pratiques. Nous nous réapproprions par exemple une plus grande part de valeur ajoutée en nous lançant dans la production de produits transformés. À titre personnel, j’ai participé à la création d’une boucherie coopérative. »
Nouvelles pratiques, nouveaux espoirs
Après une jeunesse à la ferme, des études de bio-ingénieur et une thèse de doctorat consacrée au secteur laitier, Anne-Catherine Dalcq travaille sur l’exploitation familiale et en prépare la reprise. Un défi synonyme de nouvelles pratiques.
« En tant que jeune agricultrice en début de carrière, je sais que je vais devoir travailler en voyant les choses autrement et en fonction de nouvelles pratiques », déclare-t-elle d’emblée. « Nous n’avons plus les mêmes enjeux que nos grands-parents : eux devaient surtout répondre aux besoins de sécurité alimentaire après deux guerres mondiales. Même si la guerre en Ukraine nous a rappelé cet enjeu fondamental, de nouveaux défis environnementaux et sociaux sont présents aujourd’hui. »
Pour y répondre, Anne-Catherine Dalcq a commencé par exemple à travailler avec des fourrages plus variés, nécessitant moins d’engrais azotés et plus riches en protéines. Résultat : une réduction de l’apport en protéines externes… que l’on trouve par exemple dans le soja… en provenance d’Amérique du Sud. Bon pour les vaches, bon pour la planète !
De même, l’exploitation cultive désormais elle-même une partie des céréales pour le bétail, céréale réalisée en association avec d’autres cultures pour produire un aliment plus équilibré, sans protéines externes ajoutées, d’où une fois encore moins d’apports externes, moins de trajets, moins d’engrais azotés, moins d’empreinte carbone.
Coiffant sa casquette de Vice-Présidente du Conseil européen des Jeunes Agriculteurs, elle insiste néanmoins sur la nécessité d’une action politique, via la mise en œuvre d’un cadre adapté et du soutien nécessaires à la transition vers la durabilité.