La digitalisation, la collaboration entre écosystèmes, la responsabilité des individus et des entreprises : autant de réalités et de défis rencontrés par la formation continue. Six experts de la formation tout au long de la vie, parmi lesquels la Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement pour Adultes, ont partagé leur analyse d’un secteur en constante évolution.

Directeur de l’Efp Bruxelles, centre de formation en alternance.

Première Vice-Présidente, Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement pour Adultes.

Senior Expert Capital Human chez Agoria.

Directrice de l’Institut Universitaire de Formation continue UCLouvain.

Directrice de l’ITN Enseignement pour adultes.

Directeur Général de la Clinique Saint-Luc Bouge.
© photos : Kris Van Exel
Les nouvelles technologies de formation ont fait apparaître des opportunités mais aussi de nouveaux défis, tant pour les prestataires de formation que pour les apprenants. Quelle est votre vision à ce sujet ?
Vincent Giroul : « Nous formons des jeunes à partir de 15 ans et des adultes à partir de 18 ans. Plus de 40 % de ces adultes ont plus de 26 ans, signe positif montrant que de nombreuses personnes sont dans une dynamique de reconversion professionnelle et ont soif de compétences. Avec, comme effet, une augmentation de plus de 14 % en 5 ans du public venant se former chez nous (Efp Bruxelles). Développer ses compétences, c’est s’ouvrir des garanties d’emploi qui ont du sens. La question des nouvelles technologies s’inscrit dans notre capacité à tous à être dans une forme de résilience, d’adaptabilité à une évolution rapide du monde. La nécessité absolue aujourd’hui, y compris sur le plan démocratique, est de développer les compétences des citoyens, et de prendre en considération la fracture sociale sur le plan des compétences numériques et de l’accessibilité aux outils. Ainsi, nous avons développé un plan s’inscrivant dans le cadre des compétences digitales identifiées par l’Europe, avec des dimensions telles que la cybersécurité ou des stratégies d’accessibilité financière avec des solutions alternatives. Bref, un enjeu fondamental, mais qui ne viendra jamais écraser le développement des compétences professionnelles. On parvient à amener les apprenants vers le numérique quand on colle très fort à leur passion pour un métier. »
Adrien Dufour : « La particularité de Saint-Luc, c’est d’accueillir des diplômés au tout début de l’acquisition de leurs compétences par rapport à la pratique qui va les concerner, parmi 80 à 90 métiers différents. La formation continue doit donc aussi se mettre en place et la formation liée au changement de poste et de statut, y compris suite à une longue absence. Tout cela peut être envisagé grâce à la technologie, mais ce n’est pas une fin en soi. Il s’agit d’abord de bien clarifier l’objectif à atteindre et ensuite de mobiliser les moyens pour y parvenir. Par exemple, en créant des environnements sécurisés virtuels pour tester des procédures du quotidien. Certes, les nouvelles technologies entraînent aussi de nouveaux coûts, mais ces investissements peuvent ouvrir des portes vers de nouvelles perspectives. C’est positionner la technologie au service de la pédagogie en tant que telle. Le défi étant de ne pas creuser un écart trop important avec les personnes qui n’auraient pas les moyens d’accéder à ces outils. »
Préserver le goût d’apprendre, c’est préparer l’avenir : l’agilité, la créativité et le savoir-être seront les compétences maîtresses de l’ère de l’IA.
Valérie Glatigny, Première Vice-Présidente, Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement pour Adultes
Laura Beltrame : « Le secteur de l’industrie technologique emploie environ 330.000 personnes. L’effort de formations ainsi que la diversité de ces dernières n’ont jamais été aussi importants au sein des entreprises, et en Belgique, une entreprise investit deux à trois fois plus en euros par travailleur que la moyenne européenne (selon l’enquête sur la formation continue des travailleurs). Par ailleurs, selon le Conseil national du travail, en moyenne, 2,4 % de la masse salariale est investie dans la formation, ce qui place la Belgique parmi les très bons élèves. L’entreprise, comme la société, est confrontée à de nombreux défis : environnementaux, budgétaires, technologiques. Pour y faire face, il faut adapter les compétences, avec des formations rapides, agiles et flexibles, mais aussi adaptées aux besoins de l’entreprise, à sa culture et ses produits. Le rôle d’entreprise formatrice est fondamental : aujourd’hui, 80 % des entreprises se déclarent comme telles. Il faut donc pouvoir les soutenir, dont financièrement, dans cette mission, en leur donnant les clés pédagogiques nécessaires, et contribuer ainsi à garder nos talents sur le territoire belge. Une entreprise qui dispose de son académie interne, couplée à un centre de recherche et développement, sera gagnante par rapport au marché belge et européen. »
Anne Grzyb : « Je dégage deux dimensions, la première étant l’impact des nouvelles technologies dans le cadre des dispositifs pédagogiques, en vue de les rendre plus accessibles, de s’adapter à des publics adultes qui ont une vie de famille et un emploi en parallèle. La deuxième dimension étant l’impact de ces nouvelles technologies dans l’évolution des métiers. En Belgique, 3,3 millions d’emplois vont être impactés par les nouvelles technologies, ce qui demande un effort collectif, tous opérateurs confondus, afin d’accompagner les individus dans le développement des compétences, car les connaissances deviennent obsolètes de plus en plus rapidement.
En tant qu’opérateur de formation et en tant qu’Université, nous ne diffusons pas que de la connaissance et des compétences : nous les produisons et nous les actualisons. C’est un rôle spécifique que les universités ont à jouer dans l’écosystème. À l’UCLouvain, un étudiant sur 5 à plus de 27 ans. La formation tout au long de la vie s’inscrit donc aussi réellement à l’université. Cependant, celle-ci reste trop peu reconnue en la matière, y compris en matière de financement. Ce qui pose question, à la fois dans notre capacité à répondre aux besoins sociétaux et dans l’accessibilité à certaines formations dont le coût est soutenu par l’apprenant. »
Julie Vanlathem : « La force de l’enseignement pour adultes est de proposer des formations modulables pour répondre aux besoins des apprenants qui combinent un travail, une vie de famille et des études. Les nouvelles technologies vont jouer un rôle de facilitateur. En ce sens, la volonté de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région wallonne est de garantir que tout enseignant et tout apprenant acquièrent un socle minimal de compétences numériques. Nous avons été aidés en termes d’équipements à l’intérieur de l’établissement, mais encore faut-il qu’un étudiant puisse posséder un PC chez lui et l’utiliser correctement au niveau pédagogique. Un enjeu d’autant plus important avec l’émergence de l’IA. Ce qui demande des formations, de l’accompagnement de nos chargés de cours et de nos apprenants. En ce sens, nous avons été soutenus, notamment par le fonds temporaire RRF (Facilité pour la Reprise et la Résilience), avec l’engagement de techno-pédagogues. Ces financements arrivant à leur terme, notre crainte est qu’il ne sera pas possible de remplacer ces personnes suite aux restrictions budgétaires et de pouvoir continuer à accompagner de façon qualitative nos apprenants. »
L’apprentissage tout au long de la vie exige un écosystème ouvert : produire, actualiser et partager des connaissances est une responsabilité collective.
Anne Grzyb, Directrice de l’Institut Universitaire de Formation continue UCLouvain
Valérie Glatigny : « Nous avons été confrontés à plusieurs grands chocs. Tout d’abord, le Covid et le basculement du présentiel en distanciel, avec la nécessité d’équiper très rapidement en matériel, avec les coûts qui y étaient liés. Ensuite, l’émergence de l’IA, où il faut à présent apprendre à nos élèves et étudiants la différence entre ce qui est vrai et ce qui est vraisemblable, avec également une redéfinition complète du rôle du détenteur de savoir. Un troisième grand choc a été de transformer nos enseignants et nos étudiants en apprenants permanents.
Le dernier choc, et pas le moindre, c’est la répercussion sur les métiers, avec de nouveaux métiers en constante émergence. Il devient donc complexe de définir précisément à quoi on prépare nos jeunes aujourd’hui. L’IA pourrait être une occasion de mettre en évidence les métiers techniques et technologiques. Dans ce cadre-là, nous voulons travailler dès le début du secondaire sur le projet spécifique d’un jeune, pour mieux l’orienter vers des formations techniques et technologiques, de nombreuses fonctions étant amenées à se développer en lien avec les révolutions numérique et énergétique. »
Une bonne collaboration est indispensable entre les différents écosystèmes de l’emploi, de la formation, de l’économie, de la recherche… Estimez-vous cette collaboration satisfaisante ?
Vincent Giroul : « Un rapport de l’INSEAD établit un indice de la compétitivité mondiale des talents. Cette année, la Belgique est classée 15e en termes d’environnement pour le développement des compétences, un résultat très satisfaisant. Cet indice analyse la capacité à développer, attirer et retenir les compétences, mais aussi à se réinventer, à vivre l’échec comme une opportunité. Nous devons tous nous fédérer pour développer ces compétences essentielles pour une économie résiliente. À cet égard, l’alternance figure parmi les dispositifs de formation. C’est une voie possible pour développer le savoir-faire, mais aussi le savoir-être, pour que les personnes développent des compétences qui vont améliorer leur bien-être au travail.
Cette étude citait également un autre chiffre moins réjouissant : au niveau mondial, la proportion des personnes déclarant ne rien pouvoir faire pour se protéger des chocs est passée de 36 % à 43 %. Il est donc essentiel de réenchanter le fait de développer ses compétences, c’est un élément émancipant et nous pouvons tous nous allier pour encourager cet aspect. »
Anne Grzyb : « En 2021, la Flandre a lancé le plan d’action Levenslang Leren, pour diffuser la culture de la formation tout au long de la vie et en créant un écosystème inclusif très large pour unir les différentes forces vives de la société : gouvernement, pouvoirs publics, formation professionnelle, enseignement supérieur, partenaires sociaux, entreprises… Une des initiatives consiste en l’écosystème VAIA, réunissant Unizo, Agoria, les Universités et les Hautes Écoles, qui propose plus de 1500 cours à destination des professionnels, des chercheurs d’emploi, des organismes, des entreprises, des opérateurs de formation. Le but étant de proposer de façon rapide, agile et concertée une offre de formation pour booster les compétences en IA.
En Belgique francophone, il existe encore une certaine marge de progression. Nous restons encore trop en silos. Quand des incitants soutiennent la formation des adultes, ils sont souvent régionalisés et peu adaptés à l’enseignement supérieur. Des améliorations pourraient donc être apportées à l’échelle de l’écosystème pour rendre ces collaborations plus simples, plus agiles et œuvrer dans la même direction. »
La technologie n’est pas une fin : elle doit créer des environnements sûrs pour apprendre, s’adapter et réinventer les pratiques professionnelles.
Adrien Dufour, Directeur Général de la Clinique Saint-Luc Bouge
Valérie Glatigny : « Nous sommes tous d’accord qu’il faut collaborer, mais le mot tabou, c’est celui de la concurrence. La formation est un grand marché où chacun essaie de se positionner en observant ce que fait son voisin, le but étant de capter des marchés. Or, vu le contexte budgétaire, il convient de gérer cet écosystème de manière optimale. Il faut donc être très attentif à ne pas dupliquer les formations, ce qui, par ailleurs, n’empêche en rien les collaborations, avec la nécessité que les écoles secondaires orientent efficacement un jeune qui veut poursuivre sa formation vers l’enseignement pour adultes, qui reste parfois encore un peu méconnu. »
Laura Beltrame : « Les partenariats publics privés ont permis de mettre en place des centres de compétences pour le secteur technologique et pour l’IT, avec l’enseignement secondaire et les universités représentés au sein des organes d’administration ou des comités scientifiques. Notre objectif est clair : une meilleure adéquation des compétences en fin de formation par rapport aux besoins de nos entreprises et assurer une employabilité correcte de l’individu. Nous pensons que la formation initiale doit encore plus collaborer avec la formation continue pour que la deuxième soit la suite logique de la première. Avec une formation initiale qui se concentre davantage sur des savoirs et techniques de base, et ensuite la formation continue qui assure toujours son rôle de reconversion mais aussi l’actualisation des compétences en lien avec les évolutions, dont les technologiques. Il faudrait travailler davantage dans ce sens avec l’ensemble des acteurs. Imaginons aussi des référentiels de compétences évolutifs, avec des avenants par secteur et en fonction des tendances nouvelles. »
Adrien Dufour : « La présence à Namur d’une université et d’une haute école nous permet de bénéficier d’un milieu enthousiasmant qui nous aide à réfléchir à comment utiliser de nouvelles compétences pour développer de nouveaux savoirs. D’où l’intérêt de mettre autour d’une table les acteurs concernés pour déterminer les objectifs de chacun et comment les intégrer dans la formation continue. Et comment l’enseignement peut s’inviter dans la pratique hospitalière. C’est la raison pour laquelle on crée aujourd’hui des unités où des étudiants prennent en charge une unité de soins. »
L’adulte en formation n’est pas en rattrapage : il enrichit son parcours. À nous de lever les obstacles et d’ouvrir les portes d’une formation réellement accessible.Julie Vanlathem, Directrice de l’ITN Enseignement pour adultes
Vincent Giroul : « Je rejoins Anne concernant les silos. Il faut encourager une véritable logique de partenariat. Je cite un exemple concret : nous avons accueilli un projet consistant à construire, déconstruire et reconstruire trois fois un bâtiment, mais en ne perdant jamais les matériaux de départ. Bref, un bel exemple d’économie circulaire. Pour mener ce projet à bien, un service de recherche de la VUB a été mobilisé, mais aussi nos apprenants en chauffage, en menuiserie, en charpenterie, en électricité, ainsi que nos agents immobiliers. Des entreprises ont également été partenaires, avec de nouvelles technologies. À une petite échelle, nous avons donc pu démontrer que lorsque les silos explosent, il est possible de construire quelque chose de très vertueux, les étudiants de la VUB ayant énormément appris au contact des professionnels. »
Julie Vanlathem : « Notre écosystème est très varié dans l’enseignement pour adultes. Nous travaillons aussi bien avec les entreprises qu’avec le secteur de l’emploi, mais aussi en partenariat avec l’université pour organiser, entre autres, le CAPAES. Nous sommes également liés avec l’enseignement obligatoire.
Les CTA (Centres de Technologies Avancées) sont très importants pour former des apprenants à des métiers techniques avec une technologie de pointe. Un des points forts de l’enseignement pour adultes, c’est d’avoir énormément de collaborations, avec environ 800 conventions par an. Nous avons des conventions cadres, notamment avec le secteur tertiaire et des conventions que chaque établissement négocie avec le secteur marchand et non marchand. À cet effet, nous déplorons la fin de la Convention PS-Forem, qui permettait de former 30.000 chercheurs d’emploi par an. »
Laura Beltrame : « La question, c’est : est-on capable de réfléchir en pôles d’excellence en Belgique? A Bruxelles, Technicity, pôle Formation Emploi, est leader dans les formations en ascensoriste, ce serait donc contre-productif de faire exactement la même chose en Wallonie. Par contre, à Charleroi, un pôle d’excellence opérationnelle existe en matière de lean manufacturing pour les travailleurs. Nous avons lancé avec toutes les universités francophones le certificat interuniversitaire en électronique de l’énergie, en allant chercher par exemple les meilleurs éléments de chez Alstom pour qu’ils donnent des cours en la matière. Nous devrions peut-être nous inspirer d’autres modèles visant à mettre en place et développer des pôles d’excellence et dès lors, proposer aux étudiants, aux adultes en formation continue et aux travailleurs d’aller se former là où se trouve la compétence. »
Adrien Dufour : « La mobilité chez nous est tout autant possible : lorsque nous engageons un médecin en pneumo-oncologie, nous l’envoyons se former pendant un an au Centre de traitement du cancer Gustave Roussy, à Paris. »
Toutes les études montrent à quel point la responsabilité des entreprises en matière de formation est importante pour la motivation et la rétention des employés, mais comment mieux stimuler la responsabilité individuelle des employés ?
Laura Beltrame : « Il faut travailler la culture d’apprentissage, faire comprendre par exemple qu’aujourd’hui, sans compétences numériques de base, de nombreuses choses de la vie quotidienne deviennent très vite compliquées : remplir sa déclaration fiscale en ligne, envoyer un mail, commander en ligne… mais aussi pouvoir déterminer si un site internet est fiable ou pas. Il faut donc proposer aux individus d’être leur propre pilote du développement de leurs compétences, tout en disposant d’outils de gestion de leur formation. Je pense aussi à des plateformes d’apprentissage adaptées au rythme de vie de tout un chacun. »
Vincent Giroul : « En effet, il est possible de mieux faire, ce qui passe aussi peut-être par réinventer les modalités et des pratiques plus pédagogiques. De nombreuses personnes aiment apprendre parce qu’elles sont dans un contexte où elles se sentent sécurisées et valorisées dans leur apprentissage. La dynamique de la pédagogie inversée donnerait en tout cas l’occasion à la personne de se réapproprier son propre parcours de travail. Christophe Dejours, un psychologue qui a beaucoup étudié le burn-out, travaille aujourd’hui sur les conditions qui peuvent rendre le travail émancipatoire pour l’individu, dans une logique de développement des compétences démocratiques. Ça peut être inspirant pour concevoir des stratégies efficaces, en rendant l’apprenant acteur de ce développement, plutôt qu’un simple récepteur de savoir. »
Anne Grzyb : « L’engagement en formation ne se limite pas à un duo entre l’individu et l’employeur. Il faut aussi tenir compte de la responsabilité de l’opérateur de formation et des dispositifs de formation qu’il propose. Mais un 4e acteur entre également en jeu : les pouvoirs publics, dans la façon dont ils financent, organisent et stimulent le cadre. L’engagement en formation est une combinaison gagnante entre ces différents facteurs. De même, cet engagement n’est pas du tout vécu de la même façon selon que l’on soit employé dans un grand groupe ou dans une petite structure. À nous de développer des formations plus adaptées, compte tenu du fait que la disponibilité en temps de l’apprenant est peut-être plus limitée. »
Valérie Glatigny : « Tant qu’on a préservé chez un jeune le goût d’apprendre, on est sur la bonne voie. On parle souvent du coût du redoublement, mais le coût du dégoût d’un apprentissage est bien pire. Nous voulons donc éveiller le plus tôt possible la curiosité d’un jeune, via des activités orientantes qui seront implémentées dès la première secondaire. Il faut aussi oser diriger un jeune un peu plus loin que la proximité immédiate de son école secondaire et travailler en réseau pour offrir à un jeune adulte des opportunités de formation. Avec la réforme en cours, l’idée est de mieux articuler notre enseignement qualifiant avec les besoins du marché du travail, de travailler sur une certification avec les secteurs professionnels. À cet effet, un projet pilote école-entreprise vient de voir le jour, rassemblant 15 écoles de la région liégeoise et de Wallonie picarde qui vont travailler avec des acteurs économiques de leur région, afin de développer un cadre d’enseignement de formation articulé aux besoins du marché du travail. Le but étant donc de décloisonner, tout en ayant davantage de pertinence au niveau de nos formations. »
Julie Vanlathem : « C’est important de pouvoir donner une image positive de l’adulte en formation, non pas comme quelqu’un qui doit rattraper des compétences qu’il n’a pas, mais comme quelqu’un qui vient enrichir son bagage. Dans certains pays européens, des liens très étroits existent entre l’enseignement pour adultes et l’entreprise. Nous commençons aussi à travailler de plus en plus avec l’alternance. Les micro-certifications représentent l’avenir pour motiver les gens à prendre conscience de l’importance de ces formations continues. Pour donner envie aux étudiants de réaliser des formations tout au long de leur vie, il faut inculquer cette culture le plus tôt possible et donner la possibilité aux établissements de les accompagner. »
Former vite, former juste, former ensemble : l’entreprise formatrice est la clé pour garder les talents et anticiper les mutations technologiques.Laura Beltrame, Senior Expert Capital Human chez Agoria
Adrien Dufour : « J’ai parfois l’impression qu’aujourd’hui, le monde de l’entreprise pense fort dans une logique d’évaluation de l’individu, mais en questionnant très peu le travail. Nous avons beaucoup évolué à l’hôpital sur comment réfléchir à des projets, de quelles compétences ont besoin les personnes et quel est l’accompagnement qu’on peut leur offrir pour aller vers la réussite en termes de technologie mais aussi d’acquisition de la compétence et de la mise en pratique auprès des patients. »
Parlons d’avenir, avec entre autres le Contrat 2035 pour l’enseignement pour adultes. Mais il y a 10 ans, fin 2015, l’UCLouvain avait lancé l’initiative Hack’Apprendre, dont l’objectif était d’imaginer l’univers de la formation en 2035. Des prévisions très intéressantes avec le recul : « En 2035, plusieurs métiers d’aujourd’hui n’existeront plus », « Les nouveaux profs se formeront tout en formant », « La bonne formation au bon moment et ce tout au long de la vie », « Une volonté de décloisonner l’université et de mixer formation initiale et continue » …
Anne Grzyb : « Cette vision éclairante de mes collègues démontre la capacité des universités à anticiper énormément le futur. Nous sommes déjà en train de nous organiser entre universités pour devenir des universités du lifelong learning, et être des partenaires de formation tout au long de la vie.
L’offre de formation sera plus agile, proposant des parcours plus individualisés. Pour atteindre ces objectifs, il faut être plus ouvert, avoir plus de partenariats et plus de liens avec la société. Les Universités en ont déjà beaucoup au niveau de la recherche, mais nous pouvons nous ouvrir davantage au niveau de l’enseignement et de la formation, et dans l’anticipation des compétences nécessaires, des outils dont nous devrons disposer et des ressources à mobiliser. »
Valérie Glatigny : « Le Contrat 2035 n’est pas seulement ambitieux pour l’enseignement pour adultes, mais aussi pour l’enseignement qualifiant et l’ouverture à l’alternance. C’est un pari collectif, et je me réjouis de voir que les experts réunis aujourd’hui vont tous dans le même sens : celui du goût de l’apprentissage, de la capacité à s’adapter, avec une plus grande agilité des formations. C’est un enjeu considérable qui demandera qu’on puisse miser sur les compétences humaines plutôt que sur la détention d’un savoir qui se voit questionné avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Ce sera possible en investissant dans des compétences comme le savoir-être, la créativité, la collaboration, la pensée critique, l’empathie. »
Adrien Dufour : « Ne pas être ambitieux serait très risqué, de par les évolutions technologiques rencontrées. Une formation plus personnalisée par le biais de parcours modulaires, la reconnaissance des acquis professionnels et les valoriser de manière claire pour en faire un atout : cela peut contribuer à entretenir le goût d’apprendre. L’enseignement pour adultes, au lieu d’être une réponse à un obstacle rencontré, pourrait être une compétence qu’on aligne tout au long de sa carrière pour se développer. »
Julie Vanlathem: « Par an, 140.000 étudiants se forment chez nous, alors que 40.000 jeunes entre 18 et 24 ans sortent du secondaire ordinaire sans diplôme. Nous avons donc là un rôle très important à jouer, y compris pour les chercheurs d’emploi, dont 10 % viennent se former chez nous. Il faut continuer à valoriser l’enseignement pour adultes pour ce qu’il fait le mieux, c’est-à-dire apporter un continuum pédagogique entre le secondaire et le supérieur. Un passeport de compétences serait très utile, dans lequel l’étudiant pourrait noter tout ce qu’il a accompli comme formation. »
Développer ses compétences, c’est se donner du pouvoir d’agir dans un monde en mutation : le numérique n’a de sens que s’il sert l’émancipation humaine.
Vincent Giroul, Directeur de l’Efp Bruxelles, centre de formation en alternance
Laura Beltrame : « L’offre IT dans l’enseignement secondaire qualifiant est quasiment inexistante ou obsolète. Or, rien que dans notre secteur, 15.000 postes sont actuellement vacants, et 50 % d’entre eux concernent des experts IT. Il faut donc se pencher sur nos besoins actuels et former, y compris dans les écoles, pour développer des talents. De même, le chiffre d’affaires en Belgique des entreprises en IA va tripler d’ici 2030 et une étude de l’OCDE indique que l’IA et le Big Data seront dans le top 10 des compétences les plus recherchées par les entreprises d’ici 2030. L’intégration des nouvelles technologies, notamment immersives, et la gamification sont très engageantes chez les jeunes.
Enfin, la Région wallonne a développé les Costras sectoriels, des comités d’orientation stratégiques qui vont, sur base des réalités du terrain, déterminer les besoins et les pistes de solutions. »
Vincent Giroul : « Nous avons tous plaidé pour que les silos explosent et je m’en réjouis. Avoir des stratégies diversifiées, selon un principe de subsidiarité par secteur d’activité, me paraît bénéfique.
Mais parallèlement, il est essentiel d’avoir une vision humaniste centrée sur la personne, d’autant plus que les parcours de formation sont souvent déterminés par une série d’éléments externes : la mobilité, la langue, la santé, le logement. Considérer la dimension humaine et pédagogique est donc crucial pour aborder efficacement l’avenir. »