Sans minimiser les difficultés profondes que la crise cause à tous les acteurs de la société, force est de constater que les contraintes ont été, pour certains, une opportunité de déployer sa capacité d’innovation. C’est le cas de l’UNamur, revenue aux fondamentaux de la mission universitaire : créer et mobiliser la connaissance, sortir des sentiers battus pour proposer des solutions inédites.
Texte : Philippe Van Lil – photo : Christophe Swijsen
Une méthode de dépistage innovante
En Asie, les pays touchés précocement par le virus ont déployé différentes stratégies. Les tests massifs ont montré leur efficacité en termes de taux de mortalité, tout en évitant les verrouillages généralisés grâce à un ciblage précis des foyers d’infection.
Rapidement, en Belgique, la capacité de diagnostic est confrontée à différents problèmes, dont la pénurie de réactifs. Conscient de l’importance des tests, Benoit Muylkens, virologue à l’UNamur, met en place dès la mi-mars une technique de diagnostic basée sur des protocoles connus, accessibles et bon marché, avec deux objectifs principaux : délivrer rapidement des diagnostics de qualité et organiser la diffusion facile de la méthode. À ce jour, cette technique a permis de réaliser des milliers de tests pour des hôpitaux et des maisons de repos et d’accueil pour personnes âgées ou handicapées.
Ce projet (appelé SANA pour SARS-CoV-2 à Namur) a mobilisé l’ensemble de la communauté universitaire : des scientifiques (chimistes, biologistes, médecins, vétérinaires), rejoints par près de 200 volontaires issus de tous les secteurs de l’université pour assurer la mise en œuvre des tests, 7 jours sur 7.
La méthode a été transférée vers d’autres universités en Belgique et vers le monde entier (28 pays, 5 continents), avec le soutien d’une campagne de financement visant à faciliter la diffusion de la technique dans les pays en développement.
L’initiative SANA en a inspiré d’autres à l’UNamur: des chimistes ont synthétisé des réactifs chimiques, des physiciens ont travaillé sur l’impression 3D d’écouvillons, des mathématiciens et des économistes ont développé des modèles de prévision sophistiqués, et plusieurs projets de recherche ont été construits sur la base de l’expérience de SANA.
Faire parler les eaux usées pour détecter le Covid-19
Redoubler d’ingéniosité, c’est le leitmotiv d’e-Biom. Cette spin-off de l’UNamur est un laboratoire d’analyses et un bureau de conseil spécialisé dans les thématiques de la conservation de la biodiversité et de la protection de l’environnement. Forte de cette expertise, elle est parvenue à adapter ses techniques d’analyse pour répondre à un besoin ayant émergé avec la crise Covid-19. Elle a ainsi été chargée par la Société Publique de Gestion de l’Eau (SPGE) d’analyser les eaux usées de Wallonie pour déterminer si des traces de Sars-CoV-2 s’y retrouvent.
Objectifs ? Repérer des foyers d’infection pour surveiller l’évolution de l’épidémie et donner des informations pertinentes aux décideurs afin de mieux anticiper un éventuel rebond du virus au sein de la population. « Actuellement, e-biom assure ainsi deux fois par semaine une surveillance de la présence du Covid-19 dans les eaux usées dans huit stations d’épuration réparties sur l’ensemble du territoire wallon.», précise Jonathan Marescaux CEO d’e-biom et chercheur en biologie à l’UNamur. e-Biom est par ailleurs en discussion avec Sciensano, à l’initiative de la SPGE, afin de dédoubler le nombre de stations d’épuration suivies et pérenniser le travail dans le temps.
Agilité, frugalité, partage de connaissances
« Les réponses des chercheurs universitaires aux défis de la crise Covid-19 étaient particulièrement intéressantes à observer du point de vue de la gestion de l’innovation » complète Annick Castiaux, professeure spécialisée dans l’innovation et vice-rectrice enseignement. « Premièrement, les chercheurs ont fait preuve d’une grande agilité. Ils ont rapidement pris conscience des problèmes émergeant de la crise et ont osé sortir de leur zone de confort pour développer des solutions et soutenir leur mise en œuvre. Deuxièmement, de nombreuses solutions développées par les universités (et d’autres acteurs comme les fab labs) étaient des innovations frugales, utilisant des ressources ou des méthodes accessibles pour proposer des solutions peu coûteuses et faciles à reproduire. Troisièmement, la philosophie sous-jacente à de nombreux projets était la science ouverte, avec la volonté des acteurs de collaborer, de partager des solutions et de garantir leur disponibilité, le plus rapidement possible et pour la majorité ».
Les chercheurs, en tant que créateurs de connaissances, ont retrouvé un rôle central dans la société. La crise du Covid-19 a réhabilité leur troisième mission, le service à la société, souvent sous-estimée par rapport à la recherche et à l’enseignement. Ce constat doit amener les universités à s’interroger sur la valorisation de cette 3e mission, notamment dans les carrières académiques et scientifiques, mais aussi sur les conditions favorisant l’émergence de projets d’innovation agiles, ouverts et frugaux au service de la société.